(Dés)affiliations

« Mon confinement s’est vu bouleversé depuis que j’ai su que j’étais touché par ce virus. J’ai remarqué un élan de solidarité dans mon voisinage. Certains voisins, par exemple, avec qui je n’avais jamais échangé plus qu’un “bonjour” auparavant m’ont appelé pour prendre des nouvelles et pour manifester leur présence si besoin. Mes quelques amis au courant m’envoient des mots d’encouragement. On peut dire que, paradoxalement, l’isolement rapproche (pas seulement dans mon entourage mais également au niveau national, voire même, mondial). »

Nathan Coudray, étudiant du bachelor en sciences sociales de l’Université de Lausanne, sur ce blog.

« Avec cette initiative d’applaudissement tous les soirs à 21h, il s’est passé quelque chose de vraiment positif ! En applaudissant par la fenêtre, nous avons incité une voisine à le faire aussi et maintenant, nous discutons d’une fenêtre à l’autre. Durant la journée, quand nous fumons à la fenêtre, cette dame sort aussi et nous discutons rapidement du temps et des températures. C’est surprenant, d’autant plus que nous n’avions jamais vu cette vieille dame auparavant (alors que ça fait 4 ans que j’habite le même appartement !). »

Céline Rumpf, étudiante du bachelor en sciences sociales de l’Université de Lausanne, sur ce blog.

Les nouvelles relations de voisinage que crée la situation de confinement souligne nos besoins d’affiliation. Face au danger, nous avons deux inclinations opposées, comme l’a montré le psychologue social Guillaume Dezecache dans ses travaux sur les survivants du Bataclan : une propension à voir l’autre comme un obstacle ou une menace et au contraire, avoir une compulsion affiliative, se rapprocher, se parler, partager les émotions ressenties[1]. Beaucoup de témoignages convergent vers la redécouverte des liens de proximité et des solidarités de voisinage. La désertion obligée des places publiques rend saillante la nécessité du lien et le besoin de partager les émotions contrastées que suscite la situation – un besoin qui peut être difficilement satisfait par les interfaces technologiques.

Reste à savoir si ces liens de rapprochement entre voisins que l’isolement a permis de tisser vont tenir dans la durée ou s’ils sont seulement liés à une épreuve partagée. Le retour à la normalité, chacun vaquant à nouveau à ses occupations, pourrait signifier le retour aux routines habituelles. Mais il se pourrait aussi que les échanges de proximité, les chants sur les balcons, toutes ces expériences inédites de synchronie émotionnelle aient démontré une fois pour toutes le plaisir de « faire groupe » et ce, avec des actions très simples. L’expérience réconfortante et très concrète des affiliations de voisinage nous aurait ainsi montré que, bien avant d’être les citoyens d’une communauté nationale, les membres d’une « cité » finalement très abstraite, nous sommes d’abord, comme le dit le sociologue Isaac Joseph, des « mitoyens ». Les « mitoyens » sont des êtres définis par des relations d’échange, des liens de contiguïté et des mises en commun très concrètes, tels les courses, la prise en charge des enfants ou le soin des personnes vulnérables[2]. De telles mises en commun, loin d’être anecdotiques, font œuvre de pédagogie : elles rappellent que la démocratie n’est pas seulement un système formel, défini par l’élection des représentants ; c’est aussi sinon surtout une forme de vie dont la trame est la réciprocité et la bienveillance des échanges.

Laurence Kaufmann, Université de Lausanne


[1] G. Dezecache (2020). « Paniques affiliatives », sur ce blog. Voir aussi G. Dezecache, Grèzes, J. and Dahl, C.D., (2017). « The nature and distribution of affiliative behaviour during exposure to mild threat », Royal Society open science, 4(8), 170-185.

[2] I. Joseph (2007). L’athlète moral et l’enquêteur modèle, Paris, Economica.