Un petit village alpin. Une petite épicerie. Le coronavirus.
L’instauration de l’interdiction d’être plus que trois dans l’épicerie vient d’être appliquée. Un panneau nous l’indique. J’attends mon tour dehors. Je suis la première dans la file d’attente. Un homme suit, son fils aussi; sa femme arrive un instant plus tard. Un deuxième groupe arrive, père et fils. Deux personnes sortent, j’entre. L’homme entre en compagnie de son fils; nous sommes alors quatre dans le magasin. Sa femme entre également derrière eux. Mais la caissière lui rappelle le nombre de personnes autorisées. La femme sort, le garçon reste. Dans cette épicerie de village, il y a 5 couloirs. Deux d’entre eux amènent vers le stand de fromage et charcuterie à la coupe, protégé par une vitre. Une cliente est avant moi. J’attends en retrait. Cette cliente bavarde tranquillement avec la vendeuse alors même qu’elle a déjà été servie. Le garçon, d’une dizaine d’années, vient vers moi sans nullement tenir compte de la distance sociale demandée pour me demander où se trouvent les bouillons. Je fais un geste d’éloignement et le lui indique. J’arrive vers la caisse. À cet instant, la mère qui attendait dehors entre dans le magasin. Nous sommes encore quatre personnes avec son fils. La caissière la retient à nouveau. La femme insiste pour juste « vérifier », dit-elle, ce que son mari a acheté et elle le rejoint. Le contrôle fait, elle attend vers les caisses. La caissière est très énervée ; le rouge au front, elle lui demande de sortir.
Cet instantané de vie est un révélateur. Un révélateur d’inattention à l’autre : la première cliente ne semble pas tenir compte du fait que nous sommes plusieurs à attendre en bavardant avec la vendeuse. C’est surtout un révélateur de « ce qui compte » comme une personne dans une unité familiale : le couple avec enfant ne tient pas compte de la règle d’« être trois » dans l’épicerie car il n’intègre vraisemblablement pas leur fils comme une personne – un fils qui se promène dans l’épicerie sans respecter les distances. La femme, au moment où elle veut vérifier les achats de son mari, n’envisage ni de faire sortir son fils, ni de prendre la place de son mari, ni de ressortir…
Anonyme