Cet article fait partie d’une série de trois textes écrits par la sociologue Marine Kneubühler. Le premier volet de la série est disponible ici.
Le 11 mai 2020, les restaurants et cafés peuvent rouvrir à la condition de maintenir une distance de deux mètres entre chaque table, avec des groupes composés de maximum quatre clients, tenus de rester assis pour consommer. Les établissements de restauration devront rester fermés entre minuit et six heures du matin. Dans mon restaurant, l’horaire imposé n’est pas un problème, nous fermions déjà à vingt-trois heures en semaine et avant minuit le week-end. Le patron a décidé d’installer des plexiglass partout où c’est possible et de changer la disposition des tables. Les plexiglass permettent de faire sauter la distance minimale requise entre les tables. La question de la traçabilité et du recueil des données des clients fait débat. GastroSuisse a obtenu du Conseil fédéral de ne garder pour seule obligation la récolte des données de celles et ceux qui se portent volontaires pour les fournir. Je n’ai aucune nouvelle du patron ; je le sollicite : il n’a pas besoin de moi pour le moment, trop peu de clients. Il me laisse au chômage partiel.
En juin 2020, je suis engagée sur une recherche FNS pour étudier la distanciation sociale en temps de pandémie. Je démissionne alors du restaurant : mon patron me dit qu’il est content pour moi, même si je vais manquer à l’équipe. Le 22 juin 2020, le Conseil fédéral lève l’obligation de consommer assis dans les établissements de restauration, ainsi que la limite de quatre personnes par table et la fermeture à minuit.
Le 17 septembre 2020, le Conseil d’État vaudois fait entrer en vigueur de nouvelles règles sanitaires pour les bars et restaurants : port du masque obligatoire pour tout déplacement à l’intérieur et obligation de transmettre les coordonnées d’au moins une personne par groupe de clients pour faciliter le traçage des contacts. Il réinstaure aussi l’obligation de consommer assis. GastroVaud répond à ses nouvelles obligations par la création d’une affiche spécifique, imitant celle de l’OFSP, de couleurs verte et blanche, rappelant les couleurs composant le drapeau du canton de Vaud.

Le 8 octobre 2020, le gouvernement vaudois impose aux restaurateurs la traçabilité de tous les clients en leur recommandant « de privilégier la mise en place de solutions numériques et de garder l’usage papier pour des situations exceptionnelles »[1].Le 23 octobre 2020, c’est l’obligation de fermeture à minuit qui revient pour les restaurants du canton de Vaud. Le 29 octobre 2020, le Conseil fédéral instaure une harmonisation nationale des mesures sanitaires avec, pour les restaurants, un maximum de quatre personnes par table, un couvre-feu entre vingt-trois heures et six heures, l’obligation de consommer assis et la traçabilité des coordonnées des clients. Le port du masque devient obligatoire dans les lieux publics extérieurs également, tels que les terrasses des restaurants.
Le 4 novembre 2020, les autorités cantonales ordonnent à nouveau la fermeture des restaurants. Ils rouvriront le 10 décembre 2020 sous des conditions strictes. Le 12 décembre 2020, un couvre-feu est imposé à dix-neuf heures par le Conseil fédéral, avec des exceptions possibles pour les restaurants des cantons avec une bonne situation épidémiologique, c’est-à-dire un taux de reproduction du virus faible maintenu au moins sur les sept derniers jours. Mon restaurant est épargné jusqu’au 27 décembre 2020, quand le canton de Vaud décidera d’une harmonisation avec les gouvernements cantonaux voisins, en fermant tous les commerces non essentiels.
En janvier 2021, GastroSuisse annonce que 50% des établissements sont menacés de faillite d’ici le mois de mars sans une indemnisation financière urgente. En octobre 2020, GastroSuisse présentait déjà une étude montrant que « plus de la moitié des établissements » connaissait « des difficultés financières en raison de la pandémie de coronavirus ». Le 12 janvier 2021, GastroVaud entreprend une action symbolique en dressant un cimetière devant son siège à Pully : « une croix pour chaque patron en faillite à cause du virus ». La faîtière des cafetiers-restaurateurs fait circuler la photo suivante sur ses réseaux sociaux :

Le 16 mars 2021, les restaurants sont encore fermés. À ce moment-là, cela fait un an, un an que la fin d’un monde a été officiellement entamée. Une nouvelle étude menée à l’interne de GastroSuisse rapporte qu’« un cinquième des établissements » a « déjà fermé sans date de réouverture ».
Le 19 avril 2021, les restaurants obtiendront le droit de rouvrir, mais uniquement leurs terrasses. Le port du masque, le traçage des clients, la limite à quatre clients par table et la consommation assise sont restés obligatoires malgré le service en extérieur. Les restaurants pourront rouvrir entièrement leurs espaces intérieurs le 31 mai 2021 avec les mêmes obligations que celles en vigueur pour les espaces extérieurs. Le 26 juin 2021, les restrictions pour l’extérieur sont toutes levées. À l’intérieur, le traçage est réduit à une personne par table et la limite de quatre clients par table saute. Le port du masque reste obligatoire. Le certificat COVID ou « pass sanitaire » obtenu par les personnes entièrement vaccinées ou testées négatives au coronavirus n’est pas obligatoire mais peut être instauré de manière volontaire par les tenanciers.
Le 13 septembre 2021, le certificat COVID devient obligatoire pour entrer dans les restaurants. Tous les clients doivent être en mesure de présenter un certificat valable, accompagné de leur carte d’identité, pour manger à l’intérieur. Ainsi, il est possible de faire sauter l’obligation du port du masque pour les clients mais pas pour le personnel. Le 28 septembre 2021, la RTS rapporte une étude de l’Université de St-Gall indiquant une perte de 13% en moyenne des dépenses dans la restauration en Suisse depuis l’instauration du certificat COVID, pouvant aller jusqu’à 30%. Cette perte vient s’ajouter à celles entamées depuis le début de l’année 2020 dans le secteur de la restauration.
À partir du 11 octobre 2021, les tests antigéniques, permettant d’obtenir un « pass sanitaire » pour deux jours, deviennent payants ; le prix moyen facturé s’élève à cinquante francs par test. Les restaurateurs s’attendent à une baisse supplémentaire de la fréquentation de leurs établissements en raison de l’arrêt de la gratuité des tests, une baisse redoublée par l’arrivée du froid, qui diminue la possibilité de se restaurer à l’extérieur sans certificat. Dans ce cadre, certains cantons ont adressé aux gouvernements cantonaux une demande d’autorisation exceptionnelle pour utiliser des chaufferettes électriques, interdites en Suisse pour des raisons écologiques, sur les terrasses. Dans le canton de Vaud, une autorisation de ce type avait déjà été délivrée par le Conseil d’État en novembre 2020 mais elle a échu en juin 2021. L’État de Vaud a réactivé cette autorisation exceptionnelle en octobre 2021, à la demande de GastroVaud, pour une entrée en vigueur jusqu’au mois d’avril 2022.
À partir du 6 décembre 2021, la validité des tests rapides antigéniques permettant d’obtenir un pass sanitaire est réduite de 48 à 24 heures. Les règles du port du masque et de la consommation assise redeviennent obligatoires à l’intérieur des restaurants en plus du certificat COVID. Cependant, il est maintenant possible de choisir de restreindre l’accès à son établissement en instaurant la règle dite des « 2G » pour geimpft (vacciné) et genesen (guéri) plutôt que la « 3G » qui inclus aussi les getestet. Dans ce cas, l’obligation de porter le masque et de consommer assis peut être levée. La mise en œuvre de cette restriction doit se faire manuellement jusqu’au 13 décembre 2021, le dispositif technique de lecture des certificats n’autorisant pas encore le tri des certificats de manière informatique. Les établissements qui font ce choix de la 2G sont tenus de l’indiquer sur leur devanture pour prévenir leurs clients.
Le 10 décembre 2021, soit quatre jours après l’instauration de l’obligation du certificat COVID, le Conseil fédéral met en consultation deux nouveaux scénarios possibles plus restrictifs encore. Le premier impliquerait une fermeture complète des établissements de restauration alors que le second consisterait en un usage plus contraignant du pass sanitaire, avec la généralisation de la règle des 2G. Selon GastroVaud, une telle alternative consiste « clairement à choisir entre la peste et le choléra »[1]. Le 13 décembre 2021, le journal Blick publie un article titré « Les antivax pourrissent des restaurateurs sur les réseaux » ; un groupe privé sur Facebook appelle à signaler les établissements qui appliquent de leur propre chef la règle des 2G et à pourrir leur réputation sur les plateformes tels que TripAdvisor en laissant des avis négatifs qui portent sur la qualité de la nourriture ou l’hygiène des restaurants.
Le 20 décembre 2021, c’est le second scénario qui entre en vigueur. Pour manger au restaurant, il faut donc être vacciné ou guéri en plus de porter un masque et de consommer assis. Quand il n’est pas possible d’imposer le port du masque ou la consommation assise, il faut alors être certifié 2G+, c’est-à-dire présenter un test négatif en plus de la vaccination ou de la guérison dans les cas où celles-ci datent de plus de quatre mois.
Le 3 février 2022, la levée du télétravail et des quarantaines vient jetée un voile d’optimisme sur le secteur de la restauration, qui alerte malgré tout sur le défi consistant à « tordre le cou aux habitudes prises durant ces deux dernières années », telles que « consommer au bureau » ou « manger un sandwich à l’extérieur »[2]. Le 17 février 2022, c’est le jour de la levée de toutes les mesures, y compris le certificat COVID, pour les restaurants. C’est l’espoir de voir renaître un monde de ses cendres, un monde qui doit « reconstituer des trésoreries », « rembourser des prêts », « obtenir les indemnisations dues, mais encore en traitement », « reconstituer des équipes de collaborateurs » et « fidéliser les clients qui se sont éloignés »[3]. Tout un monde à refaire…
Marine Kneubühler, Université de Lausanne
[1] Citation tirée de la publication Facebook de GastroVaud du 10 décembre 2021 intitulée : « 2G, 2G+, FERMETURE : ÉCONOMIQUEMENT, C’EST KIF KIF BOURRICOT ! »
[2] Citations tirées de la publication Facebook de GastroVaud du 8 février 2022.
[3] Citations tirées de la publication Facebook de GastroVaud du 16 février 2022 intitulée « NORMALITÉ RETROUVÉE : JOIE, SOULAGEMENT, LIBERTÉ ».