Usage de la solution hydro-alcoolique en public et morales ordinaires. 10.11.2021

Il est près de 17h40 quand le métro s’arrête à Vigie. Il y a deux ascenseurs publics à Vigie. C’est la voie rapide – et usuelle – pour s’extirper de la vallée du Flon, atteindre le pont et rejoindre Chauderon, l’un des points névralgiques du centre-ville de Lausanne. À cette heure de la journée, nous sommes nombreux à les attendre. La plupart des visages anonymes autour de moi sont masqués, les yeux rivés vers les câbles électriques en mouvement. Un ascenseur ouvre ses portes, l‘autre amorce sa descente. Une queue bien fournie s’étant formée devant la première cabine, je choisis d’attendre quelques secondes pour prendre la seconde : pourquoi s’entasser dans un si petit espace ? J’entre dans le second ascenseur avec deux autres passagers.

Une fois les portes refermées, je sors sans ostentation de mon sac mon flacon de solution hydro-alcoolique. C’est devenu presque une habitude : avant d’entrer ou de sortir d’un transport public, je tâche de m’en frictionner les mains. Je l’oublie parfois, mais il faut dire qu’au plus haut d’une deuxième vague qui peine à ralentir et dévaste les EMS du canton les uns après les autres, la situation sanitaire du moment invite à la prudence. Et puis ça me donne aussi une contenance : le trajet est court, mais l’espace est exigu et l’on ne sait jamais trop bien où poser ses yeux, en particulier quand la cabine est à moitié vide. Alors que je me frictionne les mains, l’un des deux passagers m’interpelle d’un air moqueur : « À ce point ? ». Il se tient derrière moi, à près d’un mètre. C’est donc que ce passager me regarde. Je me retourne pour lui faire face. C’est un homme âgé de plus 60 ans, peut-être déjà septuagénaire. Il porte un masque. Sa remarque m’agace. L’envie me prend de lui lancer du tac au tac : « De quoi je me mêle ? ».  Je garde toutefois mon calme et je lui réponds, de façon bonhomme : « Oh, bah, je fais ça de temps en temps ». L’homme semble surpris. Et il se sent obligé de préciser qu’il a lui aussi un petit flacon sur lui, mais que c’est de l’alcool à brûler. L’ascenseur arrive à destination. J’en sors, en lui disant vaguement au revoir, mais en pensant : « Mais grand bien vous fasse si vous voulez vous intoxiquer ! Pour ma part, tout va bien, je ne suis ni trouillarde ni pingre ni donneuse de leçon ! ». Mon geste était purement tourné vers moi. Pourquoi fallait-il me reprendre et en faire un objet de jugement moral ?

Par Fabienne Malbois, sociologue