Le masque, entre singularisation et dé-singularisation. 17.09.2020

Ce jeudi 17 septembre 2020 en début de matinée, je prends le métro pour me rendre à la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL), en Suisse. J’y ai rendez-vous avec mon collègue Stéphane, pour mettre au point le budget d’un projet de recherche que nous allons déposer d’ici la fin du mois. Cette ligne dessert notamment le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) ; elle n’a jamais désempli, même au plus fort de la première vague pandémique. Je l’emprunte plus volontiers à présent que le port du masque a été rendu obligatoire dans les transports publics. « Fourmi », qui est ma destination, est l’une des stations les plus fréquentées de la ligne. Je sors du métro parmi beaucoup d’autres voyageurs. 

Très vite, en amont du quai, les quidams forment un petit attroupement qui s’impatiente devant les ascenseurs menant à la surface. À l’arrière, à l’écart de la foule, j’attends avec une certaine nonchalance et impassibilité. J’ai de l’avance sur l’heure du rendez-vous, nul besoin de se presser. Soudain, un homme s’approche de moi et me salue, tout en se penchant légèrement, comme s’il s’apprêtait à me parler. L’homme porte un masque en tissu noir parsemé de motifs floraux délicats aux couleurs automnales. Le masque est original – je n’en avais encore jamais vu de semblable –, et retient l’attention. Il est aussi très couvrant et met en évidence des cheveux bouclés qui encadrent le haut du visage. Tout dans le comportement de cet homme laisse accroire qu’il me connaît. Surprise, je le dévisage et lui signale avec un ton interrogatif que j’ignore parfaitement à qui je fais face : « Excusez-moi, je ne vous reconnais pas ? ».

Je vois l’homme se mettre à sourire avec les yeux puis à esquisser un mot. Au moment où le visage s’anime, je le reconnais : c’est Stéphane, le collègue avec qui j’ai rendez-vous. Je suis évidemment gênée et passablement confuse. Je collabore avec Stéphane depuis près de deux ans maintenant. Durant le confinement, un certain nombre de séances de travail, parfois collectives, nous ont réuni sur des plateformes de vidéo-conférence, et depuis la mi-août, nous correspondons régulièrement par email ou téléphone. Comme ai-je pu ne pas le reconnaître ? De fait, ses cheveux, qu’il n’a pas coupés au moment du déconfinement, ont poussé et je n’avais encore jamais vu son visage dissimulé par un masque. Et encore moins ce masque-là, tout à fait singulier, qu’il doit être le seul à porter, un masque que je saurai désormais reconnaître, parmi tous les visages masqués qui peuplent de façon uniforme l’espace public, comme un signe stable et distinctif de son identité personnelle.

Fabienne Malbois, sociologue