Il y a une année jour pour jour, le pays s’arrêtait de respirer et nous de vivre. Une année de perdue sur toute une existence, cela peut sembler dérisoire. Les générations précédentes ont parfois passé plusieurs années sous les bombardements, l’exil, la peur ou la faim. Aujourd’hui aussi, ailleurs dans le monde des conflits s’éternisent, des êtres humains errent sans rivage et sans destin.
Mais quand même. A cinquante ans, je me disais que je pouvais enfin commencer à penser à ma petite personne. La parenthèse n’est pas si longue, sur une vie, qui concentre un temps où les enfants sont juste assez grands pour être autonomes, mais pas assez pour nous refiler leurs rejetons et où les parents sont encore vaillants avant que leur santé déclinante ne justifie notre affection attentive. Je me réjouissais donc de cette «golden hour » qui s’annonçait, pleine de promesses de soirées avec des copines, de cinémas, de théâtres, de petites pauses qui s’éternisent entre le travail et la maison, d’activités sportives, de virées avec mon amoureux. J’avais envie de croquer chaque instant à pleines dents en me disant que c’était peut-être le dernier, à succomber à l’insouciance d’une dernière jeunesse qui n’a enfin plus rien à prouver.
Le Covid a fait voler en éclats tous mes espoirs! Au début, je l’ai pris comme un affront personnel. Comment, après tout ce que j’ai donné à ma progéniture, à la société, que dis-je, au monde, un banal virus me rendait prisonnière de mon foyer, interdite de liberté enfin conquise. Et puis j’ai pensé aux autres. Aux personnes âgées pour qui le temps est si précieux, la solitude si douloureuse et qui perdent les derniers beaux moments de leur existence confinées dans leur appartement, aux jeunes qui ont dû fêter leur vingt ans en compagnie (au mieux) de leurs parents, aux célibataires en quête du grand amour, aux jeunes femmes qui souhaitent avoir un enfant et qui voient l’horloge tourner, aux apprentis qui cherchent un travail et qui n’en trouvent pas, aux étudiantes et aux étudiants qui mesurent leur curiosité à la taille de leur ordinateur.
Le vol d’une année, pour certaines ou pour certains, c’est le vol de leur vie.
Géraldine Savary, rédactrice en chef de Femina, ancienne conseillère aux Etats (entre autres)