Autographie du port du masque, #2. Nécessité des soins 15.06.2020

Cet article fait partie d’une série d’autographies réalisées par la sociologue Marine Kneubühler. Elle y restitue à la première personne son expérience relative au port du masque, éclairant ainsi diverses situations et mesures sanitaires auxquelles la pandémie a donné lieu. Le premier article de la série est disponible ici.

Depuis mon contrôle chez l’ORL du 27 mai dernier, je n’ai pas remis de masque. En Suisse, nous sommes passés à la troisième et dernière étape du déconfinement ; celle-ci a pris effet il y a un peu plus d’une semaine. La situation est encore extraordinaire, c’est-à-dire que le Conseil fédéral a toujours la main sur les vingt-six gouvernements cantonaux qui composent le pays et disposent, en temps de fédéralisme ordinaire, d’une certaine indépendance. Mais, désormais, on a le droit de se réunir à plus de trois cents personnes dans l’espace public et les derniers lieux qui étaient restés fermés jusqu’alors ont commencé à rouvrir (par exemple, les discothèques, piscines, centres de bien-être, zoos, cinémas et théâtres). En outre, il y a apparemment eu des assouplissements au niveau des mesures touchant les personnes dites vulnérables. Je dis « apparemment » parce que je l’ai entendu à la télé. Cette dernière phase du déconfinement n’a pas changé grand-chose à mon quotidien, en comparaison de celle du 11 mai, qui avait notamment conduit à la réouverture des commerces de proximité et permis à mon quartier de retrouver une certaine forme de vie. La non-obligation de porter un masque, excepté pour certaines circonstances particulières de soins ou quand il est impossible de maintenir les distances physiques, est toujours en vigueur. Je dois avouer que j’apprécie particulièrement pouvoir échapper à cette contrainte dans la grande majorité des situations.

Aujourd’hui, lundi 15 juin, en revanche, je vais être obligée de remettre un masque. J’ai deux rendez-vous qui vont nécessiter de le porter : un rendez-vous pour moi, chez ma thérapeute psychocorporelle, et un pour mon chat, Ernest, qui a des problèmes intestinaux persistants parce qu’il ne prend pas ses médicaments. C’est un petit malin, il ne touche pas sa gamelle lorsqu’il sent qu’une poudre y a été mélangée et est capable de garder des cachets dans le fond de sa gorge pour aller les recracher en cachette. Ce qui n’est pas malin, c’est que je suis maintenant obligée de l’amener chez la vétérinaire pour des injections d’antibiotiques. Que ce soit à la clinique thérapeutique ou au cabinet vétérinaire, le port du masque est obligatoire depuis la première étape de déconfinement datant du 27 avril. La clinique a pu rouvrir en même temps que les coiffeurs et autres « services de soins à la personne » ; quant au cabinet vétérinaire, il n’autorisait plus, durant le semi-confinement, l’entrée des humains avec leurs animaux ; l’anamnèse avait lieu dehors, sans masque pour les maîtres, et les vétérinaires embarquaient l’animal à l’intérieur pour les soins. Maintenant, et c’est un grand soulagement pour moi, une personne, une seule, a l’autorisation d’accompagner l’animal en salle de consultation en portant le masque.

Je me suis réveillée plutôt stressée et, surtout, endolorie. Je me suis sûrement coincée un muscle ou un nerf, ou dieu sait quoi encore. Je suis limitée dans mes mouvements, j’ai super mal au dos et à la tête. Cela fait plusieurs jours que je traîne ça et j’ai demandé un rendez-vous à ma thérapeute en urgence hier soir. Je pensais que ça partirait avec du repos pendant le week-end. Manifestement, c’est raté, et c’est devenu insupportable. Je suis soulagée de pouvoir y aller avant le rendez-vous vétérinaire prévu à midi. Me débloquer devrait aider à déplacer Ernest, ce qui n’est jamais une partie de plaisir. C’est un chat adopté à deux ans via une association, des suites d’un abandon. Chaque fois que je le sors de la maison, il hurle de détresse non-stop : pour moi, c’est clair, il a peur de se retrouver abandonné tout seul au bord de la route, encore. Émotionnellement, c’est un peu dur parce que je culpabilise de lui faire vivre un tel stress, même si c’est pour son bien ; et, nerveusement, c’est ultra oppressant de subir ses hurlements, d’autant plus qu’en voiture, c’est plus d’une demi-heure de trajet jusqu’au cabinet.

En plus de l’anticipation désagréable du passage chez le vétérinaire, je suis préoccupée par le fait de devoir remettre un masque. Ou plutôt des masques, parce qu’il faudra changer le premier après l’avoir utilisé : même si je ne l’enlève pas entre les deux rendez-vous, je vais, d’après mes calculs, dépasser quatre heures. Quatre heures, je l’ai bien retenu, c’est le maximum pour un masque chirurgical. Comme je ne suis pas très alerte le matin, je me suis fait un petit post-it hier à côté de mon coin café sur lequel j’ai écrit pour ne pas oublier :

PRENDRE MASQUES

Partir à 8h30 pour aller chez T.

Mettre Ernest dans son sac à 11h15

Je ne suis pas retournée à la clinique depuis le « monde d’avant » ; je crains de ne pas maîtriser la nouvelle situation, ça me stresse un peu. Tous les clients de la clinique ont reçu un message le 17 avril qui nous annonçait sa réouverture. Ce message mentionnait la mise en place de mesures de sécurité concernant l’affluence de la clientèle pour éviter les croisements, mais sans plus de précisions. Hier soir, ma thérapeute ne m’a rien dit de particulier après avoir fixé le rendez-vous, alors, pour être sûre, je lui ai demandé par texto : « Je mets un masque et j’attends dehors, c’est ça ? ». Sa réponse : « tu mets un masque et tu sonnes je serai prête ». Dans ma tête, cette affaire constitue une petite montagne organisationnelle. D’où le post-it, pour m’ôter un peu de stress pendant la préparation du matin.

Je bois mon café, j’ai une petite boule dans l’estomac, j’essaie d’ignorer mes chats pour éviter de leur faire sentir qu’ils seront impliqués dans cette journée stressante. Mon esprit forme un épais brouillard dont les pensées sont difficilement discernables les unes des autres. Je fixe des yeux le post-it avec mon café dans la main sans vraiment le regarder. Mon regard glisse sur le tiroir du petit meuble à l’entrée où se trouve l’emballage plastique de masques déjà ouvert, et je soupire fortement. Je n’ai aucune envie de m’occuper de cette histoire de masques, ça me pèse. Je m’active et achève ma préparation en allant chercher l’emballage des masques chirurgicaux que je flanque dans mon sac à dos. Je vérifie que j’ai bien une petite bouteille de gel hydro-alcoolique dans la poche avant du sac. J’ai décidé que je n’allais pas mettre mon masque directement à la maison comme la dernière fois, donc j’ai prévu une petite marge de temps pour le mettre avant de sortir de la voiture; il faudra que je puisse me désinfecter les mains avant de l’enfiler.

Je sors et vais trouver ma voiture ; j’en ai pour une petite vingtaine de minutes sur la route. Pendant le trajet, mes pensées vagabondent ; elles atterrissent régulièrement sur mon anxiété quant à la manière dont va se dérouler cette « consultation masquée », mais mes douleurs ne manquent pas de ramener systématiquement mon attention à mes côtes, mes omoplates, mon épaule droite, ma nuque, mes tempes. Ça tape, j’ai hâte d’en être soulagé. J’arrive à destination et me place sur le parking devant la maison. Mon sac se trouve sur le siège passager. Je prends le gel d’abord, puis je recule mon siège afin d’avoir plus de place devant moi pour manipuler mes affaires. Ensuite, je sors l’emballage plastique des masques que je pose sur mes cuisses. J’appuie sur le capuchon de la bouteille pour faire sortir le gel et m’en tartine les mains. Je n’aime pas l’odeur, ça me rappelle l’hôpital. Je frotte bien entre les doigts et je remonte jusqu’aux poignets. Je lance ensuite le gel sur mon sac pour éviter de toucher autre chose que le masque. J’en saisis un par les élastiques, il reste croché aux autres. Je dois un peu les démêler en utilisant mes deux mains pour éviter qu’ils ne sortent tous d’un coup et qu’ils soient foutus. Finalement, je les sors tous bien empilés les uns sur les autres et je les dépose sur le plastique, toujours sur mes cuisses. Je prends celui du dessus par les deux élastiques. Je vérifie l’heure sur le tableau de bord: j’ai une petite montée de stress, due à la sensation soudaine que je m’occupe de ça depuis trop longtemps, beaucoup trop. Sur le moment, le temps que ça me prend me paraît ahurissant. Je respire un bon coup. Pour éviter de devoir m’y reprendre à deux fois, comme lors de mon premier essai, j’exécute directement une boucle autour des oreilles pour raccourcir les élastiques. Je me regarde dans le rétroviseur sans rien toucher, je dois tendre mon dos et plier un peu ma nuque ; elle craque. Je l’ignore et j’ajuste mon masque en appuyant sur le nez et en plaçant mes lunettes dessus, puis en tirant le bas du masque sur mon menton. Bon, il a l’air pas trop mal placé. Je laisse comme ça et je range l’emballage dans mon sac dont je referme toutes les poches. Je l’embarque avec moi en sortant de la voiture.

Je me dirige vers l’entrée en me répétant les consignes du texto laissé par ma thérapeute : je dois sonner et attendre. Je m’arrête devant la porte sur laquelle se trouve une affiche A4 plastifiée, imprimée en paysage et faite maison, qui indique en rouge « Port du masque obligatoire » avec le logo coloré de la clinique à côté. Le même visage d’un bonhomme dessiné avec de grands yeux ahuris s’y trouve en deux exemplaires : à gauche, il a sa main devant la bouche, de laquelle sortent des petites tâches jaunes, et au-dessus de sa tête se trouve un gros virus jaune dans un cadre vert ; à droite, il porte un masque sur lequel est inscrit « Super Heros » et, au-dessus de sa tête masquée, on voit le même gros virus jaune mais barré dans un cadre rouge. Je fixe l’affiche quelques secondes, je suis surprise par l’inscription « Super Heros » sur le masque. Je ne pourrais pas dire pourquoi cette affiche occupe ainsi mon attention, je la regarde simplement quelques secondes, puis, je sonne et j’attends. Ma thérapeute m’ouvre, guillerette, avec son masque. Une petite sensation d’étrangeté me traverse mais je suis contente d’être là et je laisse passer ce sentiment pour retrouver la familiarité du lieu et pouvoir me concentrer sur la description que je vais devoir faire de mes bobos.

J’enlève mes chaussures dans le hall et on se dirige directement dans la salle au milieu de laquelle se trouve une table de massage ; ça sent bon les huiles essentielles. Je pose mon sac sur une chaise dans le coin de la pièce et je m’installe comme à mon habitude. D’abord, je m’assieds sur la table en blaguant, puis elle me fait un signe de tête m’indiquant de m’allonger sur le dos pendant que je parle pour qu’elle puisse commencer d’agir sur les points qui font mal et me dénouer. Je parle tellement quand j’entre dans cette pièce que parfois je m’oublie ; il est arrivé qu’on passe l’heure à échanger comme dans une psychothérapie ordinaire. Là, elle sent bien qu’elle a du boulot pour me « décoincer ». Je lui donne mes lunettes une fois couchée. Dans cette position, en parlant, et, de plus, en me tordant parfois de douleur, le masque bouge beaucoup ; il tient vraiment mal sur mon nez. Je dois l’ajuster à plusieurs reprises avec le bout des doigts pour éviter qu’il glisse. Je sais que je ne devrais pas le toucher alors, à un moment donné, je m’interromps et lui dis : « je suis désolée mais avec ma toute petite tête, j’ai vraiment de la peine à faire tenir le masque ». Elle me dit que c’est un problème que rencontrent aussi les infirmières avec mon type de morphologie, et que certaines d’entre elles mettent du scotch médical au niveau du nez pour le faire tenir. Du scotch ? Je me sens désespérée, je n’ai vraiment pas envie de mettre du scotch sur mon nez. J’espère vraiment qu’on devra vite arrêter de porter des… Aïe ! Elle a trouvé un nœud qui ramène mon attention à mon corps…

Je suis plutôt étonnée, à part ces quelques ajustements et ce bref échange qui portait directement sur le masque, la séance n’a pas été si différente par rapport à « avant ». Je sentais bien mon masque, mais il n’a jamais été complètement au premier plan de mon champ de conscience. Ma thérapeute a terminé le massage. Je me rassieds sur la table. J’ai la tête qui tourne légèrement et me sens lourde. Elle me rend mes lunettes ; j’en profite pour ajuster un peu le masque en le tirant sur mon menton et pour le stabiliser sur mon nez grâce aux lunettes. Je me recoiffe rapidement. Pendant qu’elle prépare la salle pour la cliente suivante, je vais me désinfecter les mains avec mon gel hydro-alcoolique. Elle me raccompagne à la porte où je retrouve mes chaussures. Elle tient la porte ouverte et me laisse retourner à ma voiture en me saluant chaleureusement. En marchant, je me demande si je vais revoir un jour son visage sans masque et ça me rend un peu triste. Je me sens tout à fait « décoincée » mais parfaitement sonnée ; c’était éprouvant. Je m’assieds sur le siège avant et respire profondément trois fois avant de remettre mon siège à la bonne distance des pédales et du volant. Je ne sais pas quoi faire de mon masque, il n’y a rien autour de moi qui pourrait me servir de poubelle. Je réfléchis une seconde et, après l’avoir ôté du bout d’un élastique avec les doigts de la main droite, je le jette temporairement dans le petit récipient à gauche du volant prévu pour accueillir des boissons, du moins à ce que je sache.

Retour à la maison pour chercher le monstre. Je me sens un peu plus d’attaque qu’au levé mais j’ai toujours énormément de stress en vue du prochain rendez-vous. Ernest m’accueille à la maison avec de doux miaous et des câlins. Je le caresse tout en ayant l’impression que je m’apprête à perpétrer une impardonnable trahison à son endroit. Je prends sur moi en me disant que c’est pour son bien et que nous n’avons pas le choix. Je le lui dis, l’attrape et l’enfile dans son sac de transport. Au secours, il miaule déjà et ça me déchire le cœur ; mais bon, après tout, il avait qu’à prendre ses médicaments. Je le lui dis aussi. Le sac dans lequel il se trouve peut être porté aux épaules ; je mets mon sac derrière et celui d’Ernest devant, leurs lanières étant empilées les unes sur les autres. On descend. Il miaule, mais il ne hurle pas ; je lui parle pour lui expliquer, ça a l’air de le calmer. Je le place avec la ceinture de sécurité sur le siège passager avant et je laisse mon sac sur le sol de la voiture de son côté. C’est parti.

Je continue à lui parler pendant le trajet, je suis plus ancrée grâce à ma séance de ce matin. On est tous les deux plus calmes que d’habitude, c’est encourageant. En arrivant sur le parking, il se tait. Je sors et me dirige de son côté. J’ai envie d’aller vite mais je vois mon sac laissé au sol devant le siège où Ernest se trouve. Merde, le masque! Je souffle, c’est un peu le truc de trop là, mais bon ça me permettra de l’accompagner. Il devient extrêmement sauvage au cabinet. Yamcha, mon autre chat, elle qui y est d’ordinaire très docile, avait attaqué la vétérinaire et ses assistantes lors de la consultation – sans ma présence – pendant le semi-confinement ; elles avaient dû la tranquilliser pour pouvoir l’ausculter. Ernest, je n’ose même pas imaginer le carnage qu’il y ferait sans moi. Je m’accroupis à l’extérieur de la voiture, la porte passager ouverte, pour avoir accès à mon sac à terre. Ernest, à hauteur de mon regard, tourne comme un lion en cage et me regarde avec des yeux implorant de le ramener à la maison. Je prends le désinfectant et l’étale en vitesse sur mes mains en essayant de ne pas trop attarder mon attention sur le chat. Je sors un masque directement depuis l’intérieur du sac et je l’enfile avec précipitation : je réalise une boucle autour des oreilles, appuie sur le nez en y replaçant mes lunettes, tire sur le menton, me redresse et, hop, je remets mon sac et celui d’Ernest sur mes épaules pour entrer dans le cabinet au plus vite. J’ai cinq minutes d’avance mais j’ai envie que ça se termine, vite.

Il y a de nouvelles affiches imprimées placardées un peu partout qui donnent des ordres et des indications sanitaires de toutes sortes. Je suis trop stressée pour m’arrêter sur elles. Je vois juste rapidement en passant qu’on n’a pas le droit d’être plus que trois personnes en salle d’attente. Il n’y a personne pour le moment. Je pose Ernest sur l’un des comptoirs en hauteur et j’attends un peu. Je vois une grande machine sur pied pour se désinfecter les mains : je m’approche, curieuse. S’y trouve une affiche imprimée collée au-dessus de l’appareil avec la mention « Commande au coude. Aucun contact avec les mains », accompagnée d’une photo qui montre comment l’utiliser : un avant-bras posé perpendiculairement à la machine sur un appui métallique et la main en dessous placée pour recueillir le liquide. Ça ne me paraît pas très intuitif. J’essaie d’imiter l’image. Je dois me concentrer pour faire juste. Je n’arrive pas à reproduire ce que je vois sur l’image et me dis que ce n’est pas avec le coude, en fait, mais plutôt avec l’avant-bras qu’il faut appuyer. Pourtant, c’est bien écrit « commande au coude » et pas « commande à l’avant-bras ». L’incohérence de la chose m’agace. Je lève mon poing en l’air pour, vraiment, utiliser mon coude. Je parviens cette fois-ci à faire bouger la pièce métallique mais la machine entière part en avant. Je cale mon pied sur son socle et appuie mon épaule au niveau de l’image, pour la maintenir et faire enfin sortir le produit de cette fichue machine. Ça marche! Qu’est-ce qu’elle est anti-pratique cette machine : aucun contact avec les mains, certes, mais contact avec presque tout le reste du corps… Alors que je me frotte les mains, je sursaute en entendant quelqu’un entrer dans la salle. C’est la vétérinaire habituelle. Je suis extrêmement soulagée; je l’adore et elle connaît bien Ernest. Je vais reprendre Ernest qui est resté sur son comptoir sans broncher pendant que je me bagarrais avec la machine maudite. La vétérinaire se tient à distance en se rendant dans la salle de consultation. Cela me fait prendre conscience de la différence : normalement, on se sert la main, on a un contact plus rapproché. Je la suis de loin.

Je pose Ernest et on commence à échanger autour de son cas et de la nécessité des injections. On passe au moment critique. On se met d’accord sur le fait que c’est mieux que ce soit moi qui le tienne pendant les piqûres pour éviter qu’il l’agresse. Je le sors de son sac, mais il s’accroche, ce n’est pas évident. La vétérinaire tire le sac dans l’autre sens pour faciliter sa sortie. Je l’amène contre moi et lui cache la tête dans mon gilet tout en le tenant fermement. « Ça va ? » me demande la véto. Je lui réponds, déterminée : « ça ira ». Elle s’assied et se prépare à le piquer pendant que je parle à Ernest pour le rassurer, comme dans la voiture. Elle le touche à peine qu’il pousse une gueulée. Je lui dis qu’il exagère. Il se tait. Je le tiens plus fort. Elle le pique. Deux fois. Il ne bouge pas, la tête fortement appuyée contre mon ventre. Je suis soulagée, j’arrive mieux à respirer. Je le remets dans son sac, que la vétérinaire m’apporte. Je la regarde dans les yeux, nos visages sont très proches tout à coup. Ça n’a pas l’air grave, elle ne réagit pas face à cette soudaine proximité. On termine la consultation et on passe à la caisse. Elle prépare la facture et encaisse tout en papotant : elle me demande des nouvelles de Yamcha. Je vois qu’il y a une bouteille de désinfectant sur le comptoir, je l’utilise après avoir remis mes affaires dans mon sac ; la facilité d’utilisation est flagrante par contraste avec la machine « commande au coude ». On se dit au revoir. Elle me demande si ça va aller pour porter mes sacs. Je lui réponds que c’est tout bon. Elle m’accompagne à la sortie, en restant proche de moi et me tient la porte pour sortir. Je repose Ernest sur le siège passager avant en le félicitant et je jette mon sac sur le sol de la voiture. J’aperçois dans le récipient à côté du volant le vieux masque laissé ce matin après ma séance à la clinique et il me rappelle celui que je porte en ce moment. J’attrape le vieux masque et, en retournant vers la poubelle de l’entrée du cabinet, j’arrache par l’élastique celui qui se trouve encore sur mon visage. Je les jette tous les deux en me disant : « ouf, bon débarras ».

Marine Kneubühler, Université de Lausanne

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