De l’isolement social à l’isolement carcéral : la Covid-19 et nous 01.03.20-30.06.20

Cet article fait partie d’une série de textes écrits par des étudiant.e.s du bachelor en sociologie de l’Universidad Nacional de La Plata (Faculté des sciences humaines et de l’éducation). La traduction de ces textes a été réalisée collectivement par des étudiant.e.s de la même université, participant aux programmes de Traduction scientifique et technique française I et de Traduction littéraire française I : Branko Dicroce Giacobini, Maivé Habarnau, Romane Lee, Juan Martín López Fernández et Horacio Mullally. La révision et l’édition des textes a été effectuée par leurs enseignantes, les Profs. Ana María Gentile et Daniela Spoto Zabala (FaHCE-UNLP). Leur publication sur ce blog a été rendue possible par Mariano Fernández, Professeur à l’Universidad Nacional de La Plata et à l’Universidad Nacional de las Artes de Buenos Aires, membre de l’équipe éditoriale de Covies-20.

J’écris ce bref texte dans une prison, située dans la province de Buenos Aires. L’une des caractéristiques de la vie carcérale est l’altération de la perception temporelle. C’est peut-être pour cette raison que l’expérience du confinement exacerbe notre capacité à ressentir les sentiments d’angoisse, d’abandon et de désœuvrement qui animent les personnes recluses dans les établissements pénitenciers. Dans le contexte de la pandémie, éprouver la monotonie de l’enfermement, le manque de désir et de motivation pour les activités du quotidien, ainsi que le besoin de communication et de contact humain, est devenu chose courante, à portée de tout un chacun si l’on peut dire. Il y a bien évidemment une différence essentielle entre ces deux expériences de retraite « hors du monde ». Contrairement à l’isolement carcéral, le confinement ne répond pas à une sanction judiciaire destinée à préserver le corps social ; il vise à préserver la santé des personnes, voire leur propre vie. Il n’y a pas de gris dans cette situation. La pertinence du confinement peut être analysée, discutée, comprise ou non, mais la réalité à laquelle elle renvoie est aussi évidente que simple : sans soin et sans précaution, notre existence et notre intégrité seraient constamment mises en danger par la Covid-19.

Avant mon incarcération, quand je vaquais encore à mes occupations à l’extérieur, le confinement avait mis en pause, pour une période indéfinie, mes sorties hebdomadaires pour aller à la Faculté, où j’étudie la sociologie. Plus important encore pour moi, le confinement avait signifié l’interruption de mes visites à ma famille. Désormais, il m’est étrange de constater à quel point la vie à l’intérieur de la prison suit une routine imperturbable que même l’épidémie ne parvient guère à entamer. Tout au plus, notre préoccupation pour la santé de nos familles et de nos ami-e-s s’est légèrement accrue, à la mesure des rares informations que nous recevons par téléphone et par les autres médias (radio, télévision, internet). La restriction des visites a drastiquement réduit les contacts avec nos proches, et limité notre perception de l’ampleur de la pandémie. C’est dans ce clair-obscur de l’isolement carcéral en temps de pandémie, où la vie en société apparaît proprement inatteignable, que je rêve de revoir mes proches. J’espère les revoir dans un contexte marqué par une normalité retrouvée, loin de la surinformation, du repli sur soi, et de la dépendance néfaste aux dispositifs technologiques – ces mêmes dispositifs qui me permettent d’écrire ces quelques lignes sur mon téléphone portable.

René Claudio Viñao, étudiant du bachelor en sociologie de l’Universidad Nacional de La Plata